Kathryn Bigelow : la sensation et l'instant

par Jean-Marie Samocki

En mars 2010, Kathryn Bigelow obtient six Oscars pour son film Démineurs, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. La presse du monde entier remarque qu'elle a battu son ex-mari, James Cameron, nominé pour Avatar. Leur union a duré de 1989 à 1991 et pendant ces deux années, il a coproduit deux films qu'elle a réalisés, Point Break et Strange Days (pour celui-là, il a écrit le scénario). Coïncidence matrimoniale mise à part, qu'y a-t-il dans cette anecdote ? Une victoire féministe ? La reconnaissance tardive au cœur d'Hollywood d'une artiste passionnante qui se situe en décalage par rapport aux canons de l'industrie tout en arrivant à faire accepter une évolution des normes du divertissement ? Sans aucun doute : Bigelow est une intellectuelle, qui a reçu une formation de peintre et Démineurs est le film vainqueur aux Oscars qui aura rapporté le moins d'argent au cours de son exploitation.

Blue Steel

scénario :

Kathryn Bigelow, Eric Red

photographie :

Amir M. Mokri

montage :

Lee Percy

musique :

Brad Fiedel

production :

Lightning Pictures et Precision Films

distribution :

Tamasa Distribution

de Kathryn Bigelow

Avec Jamie Lee Curtis, Philip Bosco, Louise Fletcher

Etats-Unis . 1990 . 1h42 . VOSTF

Lors d'une ronde de nuit, Megan Turner, qui vient d'intégrer la police contre l'avis de sa famille, abat un braqueur. Un des témoins vole l'arme du crime et disparaît. Lors de l'enquête, personne ne croit qu'elle a agi en l'état de légitime défense. S'ensuit une série de meurtres, commis à l'aide du revolver. Sur les balles, le nom de la jeune femme est gravé. Bigelow utilise la violence du film policier pour s'interroger sur l'identité féminine et sur la façon dont une femme peut l'accepter dans un univers masculin où celle-ci est minoritaire au point d'être niée. La perte de l'arme est symbolique : elle signale sa culpabilité et le déni de son identité. Bigelow montre la recherche de cette arme comme l'acceptation d'une violence et d'une puissance que la société place du côté du masculin mais qui fait intégralement partie de chaque individu. La relation entre Megan et le tueur est très belle : sans le vouloir, elle le provoque constamment, le recherche comme une part jumelle et inacceptable. L'un de ses meilleurs films.

Horaires :

vendredi 15 - 19h - Concorde 1 - présenté par Jean-Marie Samocki

Point Break

scénario :

W. Peter Iliff et Rick King

photographie :

Donald Peterman et Billy Clevenger

montage :

Bert Lovitt et Howard E. Smith

musique :

Sharon Boyle et Mark Isham

production :

20th Century Fox

distribution :

20th Century Fox

de Kathryn Bigelow

Avec Patrick Swayze, Keanu Reeves, Gary Busey, James LeGros, Lori Petty, John C. McGinley, Tom Sizemore

Etats-Unis . 1991 . 2h02 . VOSTF

Réalisé au tout début des années 90, tout dans Point Break rappelle les années 80 : de la coupe de cheveux de Patrick Swayze au duo d'agents du FBI vulgaires mais sympas : Angelo Pappas et Johnny Utah, l'ancien joueur universitaire de football américain, qui a dû arrêter sa carrière sportive. Le film est une date dans l'histoire des blockbusters. Derrière une histoire imbécile (des surfeurs qui cambriolent des banques), Bigelow filme des situations-limites d'un point de vue physique qu'elle exalte en ralentissant les plans, en suspendant le récit. Mouvements et vitesses. Une tentative de mêler les exigences d'un récit policier et la recherche individuelle de la sensation, l'absorption des corps par la Nature.

Horaires :

samedi 16 - 11h - Concorde 1 - présenté par Jean-Marie Samocki

Strange Days

scénario :

Jay Cocks, James Cameron

photographie :

Matthew F. Leonetti

montage :

James Cameron, Howard E. Smith

musique :

Graeme Revell, Deep Forest, Skunk Anansie et Peter Gabriel

production :

Lightstorm Entertainment

distribution :

20th Century Fox

de Kathryn Bigelow

Avec Ralph Fiennes, Angela Bassett, Juliette Lewis

Etats-Unis . 1995 . 2h25 . VOSTF

Los Angeles 1999. Lenny Nero, flic déchu, mi-dandy, mi-gangster, s'est reconverti dans le trafic de vidéos très perfectionnées qui permettent de revivre n'importe quelle situation par procuration. Elles créent une stimulation si forte qu'elles placent les clients dans un état de manque et d'addiction. Le scénario, fondé sur l'ambiguïté de ces images, est très ambitieux. On y trouve à la fois une veine à la De Palma (mêlé à un meurtre, Nero recherche une image qui révèle la vérité : tout a déjà été filmé – il y a même une scène de suspense impressionnante qui joue sur le décalage entre ce qui se passe dans le réel et le moment où le client reçoit les images-drogues) et une veine à la Cronenberg (des personnages solitaires qui trouvent dans la technologie une possibilité de jouissance). Pour Bigelow, ces images se mêlent à un chaos plus général qui peut emporter le monde à chaque instant. Pour résister à cette destruction imminente, seuls restent le couple, une étreinte, un baiser.

Horaires :

samedi 16 - 18h - Concorde 1

The Loveless

scénario :

Kathryn Bigelow, Monty Montgomery

photographie :

Doyle Smith

montage :

Nancy Kanter

musique :

Robert Gordon

production :

Pioneer Films

distribution :

Atlantic Releasing Corporation

de Kathryn Bigelow

Avec Willem Dafoe, Marin Kanter, J. Don Ferguson

Etats-Unis . 1982 . 1h22 . VOSTF

Le chef d'un gang de motards, en route pour une course à Daytona, s'arrête dans une petite ville de Floride. Le premier film de Kathryn Bigelow semble s'opposer à tout ce qu'elle filmera par la suite. Si on la rattache à l'action, ici l'inaction prédomine : tempos très lents, plans très longs, regards très appuyés. Pas de frénésie. The Loveless met en avant un des éléments essentiels de ses récits : la force érotique, toujours présente, de façon plus ou moins explicite. Tout ici est extrêmement érotisé. Bigelow s'attache à la montée progressive de la tension sexuelle, à la façon dont elle est vécue, provoquée, assumée, reconnue par chaque personnage. Dans sa relecture des films des années 1950, elle compose un film à l'esprit assez européen, proche de certaines œuvres de Fassbinder.

Horaires :

samedi 16 - 22h30 - Théâtre Municipal - présenté par Jean-Marie Samockidimanche 17 - 11h - Théâtre Municipal

Le Poids de l’eau / The Weight of Water

scénario :

Alice Arlen, Christopher Kyle

photographie :

Adrian Biddle

montage :

Walter Murch

musique :

David Hirschfelder

production :

Imagex Communication, StudioCanal

distribution :

Tamasa Distribution

de Kathryn Bigelow

Avec Catherine McCormack, Sarah Polley, Sean Penn

Etats-Unis . 2000 . 2h13 . VOSTF

La cinéaste place deux époques en miroir. De nos jours, la photographe Jean Janes débarque sur la petite île de Smuttynose, située au large des côtes du New Hampshire. Avec elle, à bord du voilier : son mari Thomas, un célèbre poète, le frère de Thomas et la compagne de celui-ci, Adaline. Elle doit relater un double meurtre commis à la hache, une nuit de 1873. D'un côté, les tourments amoureux de quelques intellectuels ; de l'autre, l'immigration d'une jeune Norvégienne, sa vie quotidienne, la façon dont les fantasmes sont interdits dans une société figée. L'enjeu du film est de mettre en résonance deux vies de femme, deux sociétés éloignées d'un siècle et dont le rapport au désir a totalement évolué. Le film se termine sur une apothéose où la cinéaste réussit à mêler la rage intérieure et le déchaînement de la nature comme si, malgré les différences de temps, une même énergie dévastatrice circule d'une femme à l'autre, bouleversant leur destin.

Horaires :

dimanche 17 - 11h - Concorde 2 - présenté par Jean-Marie Samocki

Aux frontières de l’aube / Near Dark

scénario :

Kathryn Bigelow, Eric Red

photographie :

Adam Greenberg

montage :

Howard E. Smith

musique :

Tangerine Dream

production :

F/M, Near Dark Point Venture

de Kathryn Bigelow

Avec Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen

Etats-Unis . 1987 . 1h34 . VOSTF

Une nuit, Caleb, un jeune fermier de l'Oklahoma, rencontre la belle Mae. Elle est une jeune vampire qui va l'emmener de force dans un monde bestial, violent, malsain. Ils finiront par s'aimer. Un film de vampires qui ne ressemble à aucun autre, comme si Bigelow prenait acte du fait qu'on ne pouvait plus filmer l'Amérique de la même façon depuis Psychose, ni faire un film fantastique de la même façon depuis Massacre à la tronçonneuse. Le résultat ? Une Amérique de lieux vides, déconnectés les uns des autres, bars abandonnés, espaces désertiques, une vieille camionnette qui fait figure de prison et de refuge. Les vampires sont sardoniques, repoussants, nomades, marginaux, cruels, dégénérés. La poésie est étrange et crue. Elle naît des chairs brûlées, des apparitions de la lumière. Au-delà des mutilations et des séquences gore, un hommage aux Amants de la nuit de Nicholas Ray.

Horaires :

lundi 18 - 22h - Concorde 1 mardi 19 - 17h - Concorde 1

K-19 : Le Piège des profondeurs / K-19 : The Widowmaker

scénario :

Christopher Kyle, Louis Nowra

photographie :

Jeff Cronenweth

montage :

Walter Murch

musique :

Klaus Badelt

production :

Paramount Pictures, New Regency Pictures, IMF Internationale Medien und Film GmbH & Co. Produktions KG, Intermedia Films, National Geographic Films, Palomar Pictures

distribution :

Paramount Pictures France

de Kathryn Bigelow

Avec Harrison Ford, Liam Neeson, Peter Sarsgaard

Etats-Unis . 2002 . 2h18 . VOSTF

En juin 1961, dans les eaux de l'Atlantique nord, Alexei Vostrikov, le capitaine du premier sous-marin nucléaire de l'arsenal soviétique, le K-19, doit faire face à la défaillance de son réacteur. Il s'agit d'éviter une catastrophe atomique, capable de déclencher une riposte américaine et, par conséquent, la guerre totale. Pourtant, K-19 n'est pas un film sur la Guerre froide, ni même un film de guerre. Bigelow montre à peine l'ennemi et les mécanismes de la stratégie de dissuasion ne l'intéressent que dans la mesure où ils placent un groupe d'hommes devant le fait accompli. Ce n'est peut-être même pas un film sur l'armée. Bigelow filme comment des hommes découvrent ensemble la nécessité du sacrifice et la grandeur de la solidarité. La trahison ne l'intéresse pas. Elle observe ce qui peut faire tenir les hommes entre eux. Finalement, elle filme l'amitié.

Horaires :

mardi 19 - 21h - Concorde 1

Démineurs / The Hurt Locker

scénario :

Kathryn Bigelow, Mark Boal

photographie :

Barry Ackroyd

montage :

Chris Innis, Bob Murawsk

musique :

Marco Beltrami et Buck Sanders

production :

First Light Production, Kingsgate Films

distribution :

SND

de Kathryn Bigelow

Avec Jeremy Renner, Anthony Mackie, Brian Geraghty, Guy Pearce, Ralph Fiennes, David Morse, Evangeline Lilly, Christian Camargo

Etats-Unis . 2009 . 2h07 . VOSTF

Bagdad. Le lieutenant James est à la tête de la meilleure unité de déminage de l'US Army. Leur mission : désamorcer des bombes dans des quartiers civils ou des théâtres de guerre, au péril de leur vie. Le film de la consécration critique et professionnelle. Bigelow s'acharne à filmer les soldats au présent. On ne trouve pas de réquisitoire direct contre l'engagement américain en Irak. Démineurs montre des militaires totalement engagés dans leur mission, qui ne connaissent rien d'autre que la nécessité d'agir. Hitchcock disait que le suspense, c'était de savoir qu'un bombe va exploser mais d'ignorer quand. Bigelow construit ses séquences sur ce principe : parfois, la bombe explose, parfois pas, parfois le personnage meurt brutalement, parfois pas. Elle oblige le spectateur à rester rivé à chaque geste, cri ou regard du moindre personnage, faisant monter une tension d'autant plus impressionnante que la base du récit est particulièrement pauvre ou abstraite.
Jean-Marie Samocki

Horaires :

jeudi 14 - 14h - Manège vendredi 15 - 00h00 - Concorde 2 - présenté par Jean-Marie Samocki
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