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Président du jury du FIF 2010, Monte Hellman y a présenté en première française son premier film en vingt ans, Road To Nowhere. Celui-ci sort en salles ce mercredi 13 avril 2011. 
A cette occasion, nous vous proposons la retranscription inédite de la rencontre entre Monte Hellman, une partie de l'équipe du film et le public du FIF qui a eu lieu à la suite de la projection au festival en octobre dernier.
Fiche technique du film et bande-annonce sur  www.capricci.fr

17 OCTOBRE : MONTE HELLMAN, SHANNYN SOSSAMON, MELISSA ET JARED HELLMAN RENCONTRENT LE PUBLIC DU FIF
Monte Hellman, ses deux enfants et co-producteurs Melissa et Jared, ainsi que Shannyn Sossamon, l'actrice principale du film, rencontraient le public du FIF, dans le foyer du Manège, pour une discussion autour de Road to Nowhere, projeté la veille. A l'occasion de la sortie en salle du film ce mercredi 13 avril, nous vous offrons le texte intégral de cette heure d'échanges autour du numérique, de l'angoisse, des surprises, des films qu'on voit et de ceux qu'on rêve...



MH : Il n'y a dans tout le film qu'un élément de dialogue racontant quelque chose que nous ne montrons pas : c'est lorsqu'il est dit que la voiture de Velma Duran a été jetée dans le lac. Cette réplique est la seule qui supplée à une absence du récit. Et même en ce cas, étant donnée la position de la voiture au bord du lac, le spectateur peut tirer sa propre conclusion sans avoir besoin d'un dialogue pour cela. Il est également dit – et non pas montré – que la vraie Velma Duran est morte. Mais c'est uniquement parce que nous avons fini par renoncer à filmer sa mort. Pour le reste, tout ce qui est dit dans Road to Nowhere est également montré.

Pouvez-vous nous parler de l'image du film, de la technique particulière à laquelle vous avez eu recours pour le tourner ?
MH : Je peux vous en parler, c'est toujours intéressant... Je ne pense pas, cela dit, que ce soit le cœur du film, encore moins le cœur du cinéma en général. Plus la taille d'une image est grande, plus elle est riche en informations, meilleure est la qualité. Pour les photos en 35 millimètres, il y a trois sortes de capteurs (sensors) : l'un a la taille de la pellicule 35 millimètres originale, les deux autres sont plus petits. Lorsqu'on tourne en pellicule, l'image est un peu moins que deux fois plus petite que les photos en 35 millimètres. En utilisant un appareil photo, on obtient 2,5 fois plus d'informations qu'en numérique ordinaire. C'est que nous avons fait : nous avons tourné avec un appareil photo numérique. Road to Nowhere est le premier film à avoir été tourné avec le Canon 5D Mark II.

Deux films présentés au festival de Cannes 2010, Rubber (Quentin Dupieux, 2010) et La Casa Muda (Gustavo Hernandez, 2010), ont été filmés avec le même appareil.
MH : Ils ont peut-être été finis et présentés avant le nôtre, mais Road to Nowhere est le premier film à avoir été tourné avec ce procédé.
Jared : La première fiction.
MH : D'autres films y ont en effet eu partiellement recours avant nous.

Pourquoi avoir choisi ce procédé ?
MH : Parce qu'il offre, à l'heure actuelle, la meilleure image possible.

Vous allez donc maintenant pouvoir faire un film par an.
MH : Non. Mon style reste le même : un film tous les vingt-cinq ans ! Je suis allé voir un médecin quand j'étais enfant. Lorsque je l'ai recroisé plus tard, dans la rue, avec ma fille, il m'a dit : « C'est bien que vous ayez une fille, elle pourra vous conduire quand vous serez trop vieux pour venir me rendre visite tout seul ».
Melissa : Ce qui donne aujourd'hui, traduit dans le cinéma : quand vous ne voudrez plus faire de film, elle vous forcera à en faire !
Jared : Une précision : on peut avoir l'impression que, la qualité du Canon 5D Mark II étant ce qu'elle est, tous les problèmes techniques sont résolus. C'est faux : ce procédé n'est pas la panacée, l'image est quand même compressée.
MH : L'appareil photo peut produire des images non compressées, ce qu'on appelle une image RAW [de l'anglais raw : brut]. On peut raisonnablement prévoir que ce sera aussi bientôt le cas pour les images en mouvements.

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Faut-il des lentilles spéciales ?

MH : Spéciales au sens où il faut utiliser de vieilles lentilles. Au cinéma, les personnages bougeant, on doit pouvoir faire le point à la main : on n'utilise donc pas d'objectif autofocus. Je suis allé autrefois à Hong Kong à plusieurs reprises et j'ai pu réunir une collection magnifique d'objectifs Nikon. Nous avons donc utilisé un appareil Canon avec des objectifs Nikon : un hybride !
La construction du film est très élaborée. Quelle a été votre marge de manœuvre au tournage ? Vous parliez d'inconscient en introduisant la séance. C'est aussi un sujet qu'aborde le cinéaste de votre film. Comment laisser passer l'inconscient ?
MH : Des choses incroyables se sont produites pendant le tournage, des choses qui peuvent paraître petites mais qui sont énormes, en vérité. Pour la scène du début, Laurel (Shannyn Sossamon) sortant de sa voiture et entrant dans le tunnel, le scénario ne disait pas davantage que : elle sort de sa voiture et entre dans le tunnel. Nous avons tourné six prises, tel quel. Puis Shannyn m'a demandé si elle pouvait essayer quelque chose d'autre. Elle est entrée dans le tunnel et... vous connaissez le résultat. Ce qu'elle fait alors, sa crise d'angoisse, a radicalement modifié le film. C'en est presque devenu l'élément le plus important. Pour moi, tout le tournage a été à l'image de ce moment.
Jared : Shannyn a fait une crise d'angoisse avant de pouvoir tenter quoi que ce soit. Tout ce que nous avons pu filmer, c'est sa crise d'angoisse !
MH : La fin est l'autre élément important à avoir été modifié au tournage. Le scénario prévoyait que, dans sa cellule, Mitchell prenne un numéro de Variety en couverture duquel il y a une photo de Fidel Castro en compagnie de Velma Duran, Cary Stewart et de son agent. Le fim s'achevait donc en comédie. Nous étions sur le plateau, prêts à tourner, quand je me suis souvenu d'une photo que j'avais prise de Shannyn un an et demi plus tôt. Je l'ai retrouvée sur mon ordinateur, j'y ai fait des retouches pendant dix minutes sur Photoshop, puis notre directeur artistique est allé l'imprimer chez Kinko's [chaîne de magasins américaine équivalente des CopyCenter]. C'est ainsi que cette image est devenue la dernière du film. Tout est allé très vite ! Road to Nowhere a changé radicalement pour des raisons liées à l'inspiration du moment.
Melissa : Plus largement, je ne pense pas qu'il y ait eu beaucoup de marge de manœuvre quant à la structure générale, mais de petits moments ont pu être ajoutés ou modifiés qui ont effectivement changé le ton du film.
Jared : Je me souviens avoir reçu les rushes jour après jour et m'être fait la remarque qu'ils ne ressemblaient pas du tout au scénario. Je me suis aperçu par la suite que le film est bien fidèle au scénario, mais qu'il est d'une tonalité beaucoup plus sombre.
MH : Quelques répliques ici ou là sont venues sur le moment. Il se trouve qu'à force de répéter la même chose, les acteurs s'ennuient souvent sur un tournage. Pour rester vivants, il faut donc qu'ils changent des petites choses, même si en dernière instance ils atterrissent au même endroit.

Comment est venue l'idée de la crise d'angoisse ?
Shannyn Sossamon : Je voulais voir ce qui se passerait sur le moment, exactement sur le moment. J'étais frustrée par les prises précédentes, où je n'avais rien à faire, sinon marcher et m'arrêter, revenir, recommencer. Dès avant le début du tournage, Monte m'avait demandé de ne pas bouger, alors qu'en général je bouge beaucoup, avec mes mains, etc. Cette obligation en terme de comportement physique me rendait assez folle.
MH : Ce qui m'excite, au cinéma, c'est de découvrir des choses, que des accidents imprévisibles se produisent. Je pense à la scène où Cary Stewart et le père de Velma marchent dans la rue, en Italie, et à l'apparition subite de deux petits garçons avec leurs vélos. Ce sont des choses que vous n'attendez pas, et qui arrivent. J'adore ce genre d'accident. J'aime les moments où l'improvisation est en quelque sorte obligée : les plans d'ensemble, où chacun est dans son propre monde, comme chez Tchekhov. C'est le cas de la scène où l'équipe de tournage regarde les images sur l'ordinateur : Laurel est mécontente de sa manière de jouer, quelqu'un propose de prendre un verre... Beaucoup de choses se passent en même temps. Peu importe le nombre de prises, pour ce genre de scène il n'y en a jamais qu'une qui est bonne. C'est excitant de capturer le bon moment. Même chose quand Laurel s'aperçoit que l'équipe de tournage s'est trompée sur la bouteille : nous avons fait une bonne prise, celle que vous voyez dans le film, aucune des autres ne convenait.

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On pense beaucoup à Mulholland Drive (David Lynch, 2001) en voyant Road to Nowhere. Est-ce aussi une sorte d'accident ?

MH : C'est un peu regrettable, parce que les films sur le cinéma sont en vérité très nombreux. Je crois que certains critiques ont repéré, à juste titre, que la véritable inspiration n'est pas Mulholland Drive mais Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958).
SS : Je pense que c'est ma faute, si on y pense.
Jared : Tout est de la faute de Shannyn... La reprise du même dialogue, lorsque Laurel et Cary répètent sur le proche, était-elle prévue dans le scénario ?
MH : La scène n'était pas écrite pour être répétée de la sorte. Ce sont trois prises différentes mises bout à bout. L'idée est venue de la monteuse, Céline Amelson. Elle a gardé trois prises et les a montées ensemble. Dans une autre scène, lorsqu'ils tournent dehors, le réalisateur dit qu'ils ont deux bonnes prises, et Shannyn demande si elle peut en avoir une autre. Cela est vraiment arrivé. Elle voulait une autre prise !
Jared : Pour moi, les plus grandes différences sont là, entre le scénario et le montage.
Melissa : L'incroyable, c'est que Céline est d'abord partie dans une toute autre direction : elle ne comprenait rien au film ! Nous nous disputons encore aujourd'hui, je lui crie dessus : le film ne parle pas du tout de ça !
MH : Il n'y a pas un seul public. Ce n'est pas grave que le public ou qu'une partie du public ne comprenne pas le film, puisque c'est aussi le cas pour les membres de l'équipe.
Jared : Il existe une expression selon laquelle un film n'est pas fini, non pas tant qu'on peut encore y ajouter des choses, mais tant qu'il n'y a rien à en retirer. Plus nous approchions d'une version resserrée, et plus les choses s'éclaircissaient au lieu de devenir confuses. Plus je m'intéressais aux émotions et moins je m'intéressais à l'intrigue. La seule incertitude qui me reste aujourd'hui est de savoir si je suis amoureux de Shannyn Sossamon ou de Waylon Payne !
MH : Le rôle de Shannyn était en vérité l'un des petits rôles du film, mais les choses ont changé au fur et à mesure du montage : non pas que son rôle soit devenu plus important, mais les autres ont perdu en importance. C'est elle qui, désormais, est présente le plus longtemps à l'écran. Cela n'a rien à avoir avec les dialogues. La scène dans le tunnel est sans dialogue. Elle tient en une ligne de scénario mais dure trois minutes.
Jared : Il y a une réplique qui dit : « Nous avons réduit le scénario à quatre-vingt dix pages mais le film dure toujours cinq heures » (« We've cut the script to 90 pages but it's still 5 hours »). C'était un peu la même chose pour nous.
MH : C'est littéralement ce que nous a dit la scripte : qu'avec quatre-vingt dix pages nous avions un film de quatre heures ! Les premiers montages duraient trois heures et demi.

Quel regard portez-vous sur les cinéastes actuels, ceux que vous avez éventuellement pu influencer ?
MH : Pour moi il n'y a toujours que quelques films intéressants par an. Même dans les années 1960 et 1970, il n'y avait pas plus de cinq bons films par an. Aujourd'hui je dirais qu'il y a Fatih Akin, Nuri Bilge Ceylan, Arnaud Desplechin, les Anderson (Paul Thomas et Wes), Tsai Ming-liang, Richard Linklater. Ils ne sont pas si nombreux.

Faut-il avoir une interprétation de l'intrigue ?
MH : Chacun aura une explication différente. Je voulais le dire en introduisant la projection : le cinéma est profondément une construction collaborative au terme de laquelle le public est le collaborateur ultime. Lors de la présentation à Venise, beaucoup de gens ont écrit sur le film, sur Internet et ailleurs. Tout le monde avait une lecture différente. Cela n'a aucune importance, cela n'a pas empêché les uns et les autres d'apprécier le film. Il est préférable pour un cinéaste de surestimer l'intelligence de son public, plutôt que de la sous-estimer.
Mon approche de la manière de faire des films vient du spectateur que je suis, ou du spectateur que j'étais. Je peux sortir d'un film sans avoir aucune idée de ce qu'il raconte, quel qu'en soit le cinéaste. Tout ce que je sais, c'est le rêve que j'ai fait en le voyant. Et parce que je ne connais rien de l'histoire, je peux revoir le même film encore et encore. J'ai dormi la première fois que j'ai vu Le Grand Sommeil (The Big Sleep, Howard Hawks, 1946), qui est maintenant un de mes films préférés. Personne ne peut comprendre Le Grand Sommeil. Même ses auteurs n'y comprenaient rien.
Pour revenir à la complexité de Road to Nowhere, le scénario est beaucoup plus complexe que le film fini : certaines scènes du début venaient à la fin, et inversement. La seule manière de le comprendre était de recommencer entièrement la lecture une fois arrivé à la fin. Lors du montage, nous avons progressivement compris que nous pouvions simplifier les choses tout en gardant l'idée ou le sentiment d'une complexité. Vous pourriez prendre n'importe quelle scène et la placer ailleurs dans le récit. Les possibilités sont trop nombreuses, on pourrait y passer dix ans. Juste pour vous donner un exemple : il y a une scène de film dans laquelle Laurel joue l'assistante de l'homme politique. Elle apporte des sandwiches, l'homme politique et son avocat discutent de son arrestation, disent qu'il y aura sans doute beaucoup de presse. Il fait une blague à ce sujet, mais une blague sérieuse. Elle rit, il est fâché, puis ils rient tous ensemble. Cette scène était la deuxième du film. Elle apparaît maintenant presque aux deux tiers.

Tourneriez-vous un jour In a Dream of Passion, votre adaptation de La Maison de rendez-vous d'Alain Robbe-Grillet ?
MH : Evidemment. Bien qu'il n'en ait pas écrit le scénario, ce projet est, de tous mes films, celui que préfère Steven Gaydos. Il y a d'ailleurs un hommage au roman de Robbe-Grillet à la toute fin de Road to Nowhere, mais la projection s'arrête en général avant que tout le générique ait défilé. Les deux derniers éléments du film sont : « It's not intended to represent any real people, any similarity is purely coincidental » – la formule utilisée à la fin de tous les films –, et : « This is a true story ». Cette contradiction vient directement de Robbe-Grillet. Au début de La Maison de rendez-vous, il écrit que l'histoire n'a rien à voir le vrai Hong Kong, qu'elle est purement imaginaire... Puis à la page suivante, il affirme tout le contraire, que Hong Kong est exactement tel qu'il le décrit ! Un critique l'a d'ailleurs remarqué.
Jared : Nous l'avons donc tué.

Quels sont vos projets ?
MH : Le prochain film est très simple, aucun problème de compréhension : l'histoire rêvée (a fantasy) de deux personnes qui sont tuées dans les premières minutes puis tombent amoureuses.

Propos retranscrits et traduits par Emmanuel Burdeau.
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