Invitation au FIDMarseille

La révélation d'un secret de famille, la mise au net d'une maison tournée en cénotaphe, de l'opéra dans la brousse, une émission de télé israélienne à l'humour très spécial, des ados qui s'inventent chevaliers, la bio d'un escroc de la Bourse, les chemins d'un narcotrafiquant au Mexique, un catalogue troublé de la dévastation planétaire, une usine polonaise où l'on danse le ballet des machines, voilà, extraits de la dernière édition du FIDMarseille, neuf films proposés au public de La Roche-sur-Yon. On les dit documentaires, ils le sont, pour part, la meilleure : dans leur confrontation rigoureuse aux réalités de notre monde contemporain. On s'apercevra vite néanmoins que pour porter témoignage des complexités qu'ils ont élues dignes d'être rapportées, ces films usent de tous les moyens offerts par le cinéma. Précision des images, science du cadre et du montage, déploiement complet de mise en scène : fiction, si l'on accepte d'entendre sous ce mot tout un façonnage, tout un artisanat. C'est de cet artisanat de haute volée que monte le sens véritable de ce qu'on appelle fiction ou documentaire : non pas seulement tisser des fables ou se contenter de transmettre des chroniques, mais fabriquer des points d'ancrage pour la mémoire, comme ces nœuds faits autrefois dans les mouchoirs.
C'est pour ce motif que tous ces films sont d'égale intensité : ce qui est documenté ici est d'abord destiné à impressionner la pellicule (ou la vidéo), puis, peut-être, c'est leur pari, les tablettes sensibles de nos esprits. Au programme de ce rendez-vous, l'éclatement. Éclectisme des provenances géographiques, des objets d'étude, des écritures, des générations de réalisateurs. Mieux qu'un panorama, un affolement. A l'image de nous-mêmes, de nos agitations, du bariolé de notre monde.
En remerciant vivement le Festival International du Film de La Roche-sur-Yon de cette invitation faite à un cinéma turbulent, nous espérons sa rencontre mémorable.

Jean-Pierre Rehm, délégué général du FIDMarseille

FID 1

Le Travail des machines
de Gilles Lepore, Maciej Madracki et Michal Madracki
Pologne/Suisse . 2010 . 0h38 . VOSTF
Pologne. Une typique ville industrielle, maquette idéale d'un fantomatique passé. Ici commença "Le Travail des machines", une danse créée en 1968, métaphore de la relation entre l'homme et la machine. Reconstruire cette danse c'est voyager dans le temps jusqu'à l'âge d'or de cette ville où production était censée rimer avec bonheur.









Michael Berger. Une hystérie
de Thomas Fürhapter
Autriche . 2010 . 0h50 . VOSTF
L'actualité nous a rendus de tels personnages familiers. Et pourtant, d'eux, hormis leurs arnaques colossales, nous ignorons tout. Michael Berger fait partie de cette famille d'inconnus crapuleux et mythiques. À près de 20 ans, il s'envole pour New York quittant Vienne où il s'est essayé à des opérations boursières juteuses. Son trafic là-bas durera peu, mais les victimes américaines de ses bobards financiers en auront pour des millions. Démasqué, il disparaît pendant cinq ans, avant d'être arrêté et incarcéré en Autriche. Présent déjà au FID (Das Gelb Ohne Zebra, 2004), Thomas Fürhapter choisit de se faire le récitant de cette tragi-comédie moderne qu'il baptise sobrement en sous-titre, lecteur de Thomas Bernhard, une hystérie. Ce que la forme du film dément. Nulle gesticulation ici, la caméra revient sur le parcours géographique du trader pour filmer en plan fixe les pays traversés : Angleterre, Autriche, États-Unis. Mais à chaque reprise, il s'agit de lieux très précis : la maison de sa grand-mère, une entrée de collège où il a fait ses études, la salle d'un restaurant assidûment fréquenté, un appartement loué, telle rue empruntée chaque jour, sa geôle, etc., à la manière méthodique d'une reconstitution de crime. Tâcher, en voyant, de comprendre. Tâcher, en marchant derrière ses pas, de dessiner le décor de cet american dream frauduleux. En off, une biographie ne se lasse pas de répéter son nom, comme pour donner enfin épaisseur à ce qu'il aura échoué de faire consister. (JPR)

source catalogue FID 2010
www.fidmarseille.org

Horaires :

vendredi 15 - 16h - Théâtre Municipal - en présence de Maciej Madracki

FID 2

Matamoros
de Edgardo Aragón
Mexique . 2008 . 0h20 . VOSTF
Un ex-trafiquant de drogue mexicain nous relate par le menu comment s'opéraient les transports de marchandises et le passage de la frontière vers les États-Unis. Avec les images, nous refaisons avec lui le voyage sur les routes d'un paysage paradisiaque. Au son, Pedro Vasquez Reyes en off détaille les actions et les rencontres, répète les conversations, mime les voix des interlocuteurs, la gouaille de chaque intonation, à la manière des bonimenteurs du cinéma muet. Ce choix du jeune réalisateur Edgardo Aragon de « rejouer » à blanc les histoires racontées est décisive. Elle crée une distance quasi comique entre l'horreur des situations, leurs enjeux effectifs, et notre réception. Par son refus d'un pathos suspect qui nous rendrait complices malgré nous, le film articule un espace en propre : théâtre flagrant, opération brechtienne d'autant plus saisissante que ce narrateur n'est autre que le père du réalisateur, et ce récit un fragment autobiographique. Se comprend mieux cet étrange passage nocturne, très artificiel, à peine compréhensible, où se « rejoue » une scène de passage à tabac, et où l'on n'aperçoit qu'un bout de casquette. Pour Aragón, la règle qu'il pratique est celle-ci : il ne s'agit ni d'observer de loin comme un juge, ni à l'inverse de se prendre au jeu d'une incarnation, mais de fabriquer un cadre de représentation au plus juste. Comme pour enfin habiter un paysage dont la voix explique qu'il lui reste interdit. (JPR)


Mudanza.JPGMudanzade Pere Portabella
Espagne . 2008 . 0h20 . VOSTF
Mudanza, Grenade, la maison familiale du poète Garcia Lorca. On n'y verra personne, sinon le ballet des déménageurs qui vident une à une toutes les pièces de leurs meubles, tableaux, etc. Restera une demeure vide, emplie de lumière et de traces, devenue comme le cénotaphe du poète assassiné en 1936 par les fascistes, et dont le corps n'a jamais été retrouvé. Portabella, à la caméra d'une virtuosité impressionnante, compose ici, soixante-dix ans plus tard, plus qu'un hommage : une élégie funèbre. (JPR)



Histoire racontée par Jean Dougnac
de Noëlle Pujol
France . 2010 . 0h40
Dans le lieu clos d'une chambre, un homme âgé, couché dans un lit, m'attend depuis trente ans. Il détient un secret et brûle de le divulguer. Je pose ma caméra DV au pied du lit. Le cadre de mon image transforme la chambre en scène de théâtre. Il ne s'agit pas d'une interview, plutôt d'un long monologue polyphonique filmé en plan fixe. Entre deux langues, le français et l'occitan, Jean Dougnac me raconte l'histoire singulière de mes parents dont j'ai été séparée à la naissance. Il me parle de ma mère Edmonde, du mystère de son handicap qu'il n'a jamais su résoudre. Il me révèle le secret de ma naissance. Les images sont dans sa voix. Rien n'est linéaire dans son récit : l'exposition d'une tragédie familiale plane, père et mère désavantagés, la misère, l'abandon, le tribunal des assistantes sociales. Mais c'est un fond sur lequel viennent se détacher d'autres histoires cinématographiques et politiques, d'autres vies en mouvement explorées avec les mots. La fin de sa narration est un suspense, un happy end, une fin ouverte à la fable, et un personnage en chemin.

source catalogue FID 2010
www.fidmarseille.org

Horaires :

samedi 16 - 20h - Théâtre Municipal - en présence de Noëlle Pujol

FID 3

Julien
de Gaël Lépingle
France . 2010 . 1h20
Gaël Lépingle affectionne ce qu'il appelle « le temps désaccordé ». Il en avait fait le titre d'un portrait du cinéaste Guy Gilles en 2008 et, auparavant, la matière première de l'évocation d'une membre d'Action. Directe dans sa rigoureuse Prisonnière du Pont-aux-Dions (FID 2006). De Julien, si le synopsis fait mince (« des adolescents jouent aux chevaliers, se rêvant un destin, une quête, qui les mèneraient loin de la Beauce où ils ont grandi »), il indique encore assez ce désaccord majeur. Entre une jeunesse et ses rêves, entre la campagne française et un ailleurs ignoré, entre l'enfance et le fade imaginaire adulte qui menace de l'effacer. C'est à l'endroit de cet « entre », fissures, chiches intervalles, que le film va insister et se loger pour inventer une écriture à lui, âpre et sophistiquée à la fois. D'une part, le matériau documentaire abonde : les champs battus de machines agricoles, les routes empruntées à scooter à deux, les maisonnées blêmes d'un paysage transformé en lointaine banlieue, les visages butés des ados, leur rituel gravement dansé, leurs projets d'avenir mécaniquement débités. Mais, d'autre part, Lépingle refuse de croire que cette fatalité fasse verdict, car il entend, sous les poses et les mutismes, gronder autre chose. Si l'appétit épique et le lyrisme grandissent ses « personnages » ailleurs, c'est qu'à l'évidence son regard les y accompagne avec amour. Et c'est à l'occasion d'un spectacle son et lumière médiéval que vont s'affronter tous les régimes d'un temps maintenu, comme en état de grâce, désaccordé. (JPR)


La Bohème
de Werner Herzog
Royaume-Uni . 2009 . 0h04 . VOSTF
Tolérant une version anglaise imposée par les commanditaires, l'ENO, English National Opera, et la chaîne satellite Sky Arts, Werner Herzog s'éloigne et impose à son équipe une vie en plein air durant plus d'une semaine au coeur du peuple Mursi du sud-ouest éthiopien. L'ut final de Mimi et Rodolfo achevant le duo du premier acte de l'opéra de Giacomo Puccini s'en trouve métamorphosé. (Gilles Grand)

source catalogue FID 2010
www.fidmarseille.org

Horaires :

lundi 18 - 17h45 - Théâtre Municipal - en présence de Gaël Lépingle

FID 4

Hilarious
de Roee Rosen
Israël . 2010 . 0h21 . VOSTF
Les Confessions de Roee Rosen (FID 2008), brûlot dévastateur, avait déstabilisé, mêlant performance, cinéma et considérations sur Israël, son pays. Le principe déployé alors est ici à nouveau à l'oeuvre : substitution des identités, performance. Changement de décor toutefois : studio TV et one woman show face au public, genre King of Comedy de Scorsese. S'y retrouvent les conventions du genre : musique, grimaces, outrance, blagues douteuses, mouvements de caméra, rires de la salle. Caustique, en écho au Freud des mots d'esprit, Hilarious met en jeu les tabous et les archétypes du comique télévisuel. Roee Rosen ouvre les portes d'un inconscient qui couve sous la bonne conscience, celle d'Israël, autant que la nôtre. (Nicolas Féodoroff)



Madman's Dictionary
de Benno Trautmann
Allemagne . 2010 . 1h03 . VOSTF
Un néon à la lumière vacillante crépite. Une définition laconique du mot folie s'inscrit sur un écran électronique. La caméra s'avance dans un espace délabré et désert, hôpital ou quelque autre enceinte dévolue à la science. En quelques plans, Benno Trautmann impose un programme où la précision de la description ne cède en rien à la métaphore, où les concepts dialoguent avec la chair des images et des sons. D'un lieu à l'autre, d'une définition à l'autre, empruntant à l'arbitraire et à la rigueur de l'organisation d'un dictionnaire, quelque fou indiqué par le titre (l'Homo Sapiens, pas moins) nous entraîne dans la traversée d'un enfer parsemé de destructions froides et d'horreurs machiniques, et sur lequel plane un sentiment de mort latente. Avec la dextérité inquiétante du chirurgien, le film découpe puis ajointe en blocs massifs lieux, événements et objets, emblématiques ou tragiquement banals, faisant par exemple entrer en résonance les récents bombardements en Irak, la beauté mortifère de la taxidermie animale, l'exploitation industrielle et minière. Nature meurtrie (comme cette horrible machine à couper et à élaguer les arbres) et activités destructrices se succèdent, selon une loi que l'on soupçonne déréglée. Dans cette avancée inexorable vers une apocalypse prévisible, c'est le dictionnaire et son balayage exhaustif, systématique et erratique qui donne le sens : affolé. (NF)

source catalogue FID 2010
www.fidmarseille.org

Horaires :

mardi 19 - 17h15 - Théâtre Municipal - en présence de Benno Trautmann Benno Trautmann
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Le festival en images

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